Mythes du "vent cruel"

J’ai le plaisir d’annoncer que je participerai à la journée d’études « Écrire l’espace urbain. Usage et mésusage de la fiction, du récit et de la narration non-fictionnelle dans la production de l’espace urbain », qui aura lieu le 20 septembre 2019, dans le cadre de la Quinzaine de l’urbanisme du Pavillon Sicli, à Genève. Ci-dessous, l’abstract de ma communication.

Mythes du "vent cruel"
Sur les traces du daemon loci de Marseille

Nous proposerons de répondre à la question de la place du récit dans les arts de faire la ville depuis le point de vue de la théorie de l’architecture, et ce au moyen d’un léger « décalage », consistant à examiner moins l’acte narratif lui-même que sa teneur et sa tonalité : si faire la ville implique de la raconter, que faut-il au juste raconter, et sur quel ton ?

Notre thèse en cours a pour point de départ l’idée que, dans les récits des origines de l"architecture, l’abri fut tenu pour le mobile initial du construire. Il s’est alors agi pour nous de répondre à la question : « De quoi l’abri abrite-t-il ? », et de produire une histoire des représentations de l’altérité agressive dans la tradition écrite de l’architecture, selon une perspective « littéraire » inspirée notamment de Bachelard.

Dans ce cadre, nous avons étudié des imaginaires climatiques, et notamment la mesure dans laquelle leurs éléments agressifs – ou tenus pour tels – informent à la fois les conceptions des architectes et leurs productions. Un climat, a fortiori s’il est âpre, est une expérience concrète qui marque les gens de l’art comme les autres et qui, avons-nous supposé, doit laisser des traces, écrites et construites.

Ainsi avons-nous, à partir de 2018, travaillé en marge de notre thèse sur la ville de Marseille, que nous habitons depuis longtemps et où, au-delà des séductions touristiques, la castagne solaire 1 et le Mistral, vent cruel 2 fabriquent, plutôt qu’un genius loci, un ambivalent daemon loci 3. De telles qualifications nous mettent bel et bien sur la piste d’une teneur et d’une tonalité, en ceci qu’elles sont les récits « à charge » d’une réalité climatique dont chaque Marseillais fait l’expérience quotidienne, laquelle est également, comme nous tâcherons de le montrer, matière à architecture.

Des deux « agresseurs » que sont le soleil et le Mistral, nous nous concentrerons sur le second, qui, du fait qu’il a pu sembler ne relever que d’un « folklore », est peu étudié. Notre communication se divisera, quant à elle, en trois temps.

D’abrod, nous suivrons les traces textuelles du Mistral 4, afin de prendre la mesure de son empreinte dans l’imaginaire méditerranéen. Nous verrons alors qu’une véritable mythologie s’est développée autour de lui, qui trouve encore des échos– modestes mais patents.

Fort de ces éléments « contextuels », nous procéderons ensuite à l’analyse comparée des projets d’aménagements proposés en 2010 par Foster & Partners 5 et Vezzoni & Associés 6 pour le Vieux-Port de Marseille. La ville, qui s’apprêtait alors à devenir Capitale Européenne de la Culture, avait à cœur d’être mise en récit. Or, si les deux projets se présentaient comme des abris, adresses explicites au climat, nous verrons que le premier, faute d’un récit complet, a échoué dans les faits à être l’abri annoncé, et que le second, faute d’un récit suffisamment articulé, n’a pas reçu l’attention qu’à notre sens, il méritait.

Nous examinerons alors en quoi l’apport d’une « mythologie située », centrée sur le climat marseillais, aurait pu renforcer les deux démarches, et tâcherons de faire valoir qu’une telle mythologie pourrait, par exemple sous la forme d’un fonds documentaire collaboratif, constituer un outil précieux. Enfin, selon la logique de l’« atelier », nous inviterons nos interlocuteurs à (d)écrire les âpretés – voire, pourquoi pas, les méchancetés – des climats sous lesquels ils vivent.